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Salim Kechiouche

Camus, Sartre, Pasolini

Je me suis rendu compte du fossé qu'il y avait entre Camus et Sartre, ils étaient vraiment en divergence entre leurs deux gamberges. Albert Camus disait que tout ce qui est autour de toi, la société, les amis et la condition sociale, le statut, tout cela joue dans ta vie, dans ce que tu vas être amené à faire, tu ne vas pas devenir gangster parce que tu habites dans le XVIème par exemple. Sartre disait que quelque soit ton milieu ou d'où tu viennes, il n'y a pas d'excuse, tu es toujours maître de tes actions et maître de ce que tu fais. Par rapport à ma vie personnelle j'ai vécu ce qu'Albert Camus décrit. A mon avis je serais plus du côté d'Albert Camus, Pasolini et tout ça. Moi je m'en sors, je commence à arriver à un niveau au cinéma, même si des fois y'a des embrouilles. J'ai aussi vécu une période difficile en Algérie, quand j'étais bloqué pour faire l'armée mais où je me suis vraiment rendu compte que les gens de là-bas, qui étaient dans la misère totale, arrivaient à vivre et à être joyeux. J'y ai beaucoup, beaucoup appris sur l'humilité, sur la vie. J'ai tellement vécu tout cela de façon forte, j'ai tellement vécu ce que décrit Camus que j'adhère à ce qu'il dit.

Mais je pense aussi qu'à un certain moment, avec la maturité, avec l'âge, je serai amené à penser comme Sartre, mais avec l'âge tu vois, c'est-à-dire à trente, trente-cinq, quarante. Je penserai peut-être comme Sartre en disant que ce que tu fais, c'est toi, c'est tout. Mais ça, c'est quand je serai arrivé à une période où toutes les choses que j'ai vécues seront tellement loin de moi, où j'aurai appris plein de choses qui m'auront servi pour réussir dans la carrière, ou dans la vie, ou pour avoir du bonheur, que je serai dans un état d'esprit complètement inverse à ce que je croyais quand j'étais plus jeune. Et je dirai " non, en fait, l'existentialisme est un humanisme " et je ne dirai plus ce que dit Camus. Camus c'est plus l'adolescence, la jeunesse, Sartre c'est plus le recul, la réflexion. A mon avis c'est un parcours logique et peut-être égoïste en même temps.

J'ai lu un passage de Pasolini qui m'a marqué. Il disait que ces gens laissés à leur propre destin finiraient par devenir des masques arrivés à un certain âge, parce qu'ils n'auront pas assez de culture, pas assez de bases solides pour pouvoir affronter tout ce qui leur est arrivé dans la vie, pour analyser ce qu'ils ont fait de façon à pouvoir dire " j'ai fait ça mais ça m'a amené à cela et en fait il n'y a pas que du mauvais ". Ils arriveront à un certain âge et seront tentés de se résigner à une idée, à se bloquer, à devenir des genres de murs, des masques. Ce seront des gens qui auront une force, une force de caractère en disant " c'est comme ça ! la vie c'est comme ça ! ", mais en même temps une telle inculture et une telle incompréhension. Ce seront peut-être des gens amenés à voter Front National, entre guillemets, alors qu'au départ, dans leur adolescence, c'étaient les garçons les plus intelligents, qui avaient une intelligence de la vie bien meilleure que les mecs bourgeois du même âge. Mais après, le mec bourgeois, la seule chose qu'il arrive à faire, c'est d'avoir du recul, de savoir analyser les choses qu'il a faites dans le passé alors que le mec qui avait une intelligence de vie mille fois plus importante que l'autre sera devenu une merde, entre guillemets, parce qu'il n'aura pas eu le discernement du mec bourgeois. Moi j'y ai vachement pensé, ça m'a fait flipper, je me dis que je n'ai pas envie de devenir comme ça, un masque, un gros tebé. C'est un travail sur moi-même et je pense que j'y arriverai, inch'Allah.

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