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Un nageur aux JO de Pékin de 2008. AFP PHOTO / GREG WOOD / Fond de la photo retravaillé par Slate.fr
En matière de tabous pileux, du sexe aux aisselles, en passant par les pieds et le visage, le dos est désormais le seul à ne pas avoir trouvé ses partisans. Il faut que cela cesse !
Publié par Mark Joseph Stern
Au début de l'été, je me suis acheté plusieurs débardeurs bien échancrés –je suis homo et, après tout, je ne suis qu'humain– avec la ferme intention de me pavaner avec dans tout le quartier gay. Mais malgré la force de ma résolution, j'ai rarement pu sortir de chez moi les épaules nues. Cette appréhension vient d'un complexe gardé jusqu'ici secret, mon fardeau personnel depuis l'année de mes 13 ans: j'ai le dos velu.
Mais à partir d'aujourd'hui, je le clame haut et fort, je refuse d'en avoir honte.
Pendant des années, j'ai lutté pour garder mes épaules et mon dos poilus loin du regard d'autrui. Adolescent, j'ai noyé mes problèmes dans des tubes de crème dépilatoire –quand vous avez 14 ans et que vous êtes bourré de complexes, une petite brûlure chimique n'est pas un prix très élevé à payer pour un supplément glabre de confiance en soi. A l'université, j'ai tenté la cire chaude, une catastrophe bouillante et chthonienne que je me suis juré ne jamais réitérer. J'ai aussi longuement songé à l'épilation laser, mais la procédure requiert un savant mélange de richesse, de désespoir et de masochisme que je n'ai jamais réussi à atteindre.
Mais pourquoi les poils de mon dos me font-ils tant horreur? La réponse est facile: parce qu'ils font horreur à quasiment tout le monde.
En matière de tabous pileux, du sexe aux aisselles, en passant par les pieds et le visage, le dos est désormais le seul à ne pas avoir trouvé ses partisans. Dans la communauté gay, en particulier, on adore aujourd'hui les torses velus, les toisons pubiennes et les bonnes grosses barbes et on y voit les symboles d'une philosophie d'ouverture et de tolérance.
Mais les poils de dos, eux, sont encore des parias. Sur les blogs beauté et les forums de fitness, même les plus coulants, la diabolisation est universelle. GQ y est d'ailleurs allé de son absolu kantien: «Les poils de dos ne sont jamais sexy».
Tous les homos, à part à la limite quelques sous-niches de bears particulièrement zélés, tremblent à leur vue.
Sans compter que les poils de dos possèdent l'étrange privilège d'être le seul type de pilosité que les hétéros –qui ont pourtant d'habitude carte blanche sur le front de l'esthétique personnelle– pourraient réellement considérer comme gênante.
Une situation aussi étrange qu'inacceptable. Il n'y a rien de fondamentalement sale ni de répugnant dans les poils de dos, aucune raison qui pourrait justifier cette exécration quasi universelle –surtout quand leurs plus proches cousins, les poils de torse, demeurent si communément adorés, si ce n'est fétichisés.
Mais il n'en a pas toujours été ainsi: ne serait-ce que dans les années 1970, le vénérable James Bond incarné par Roger Moore pouvait parfaitement exhiber son dos poilu à l'écran –dans une scène de sexe! en gros-plan! et sans rien perdre de son statut de sex-symbol!
Mais tous ceux ayant grandi après 1979 ont subi un lavage de cerveau pour mépriser le moindre poil jaillissant plus bas que la nuque.
Aujourd'hui, la plupart des stars de cinéma sont aussi glabres que des garçons pré-pubères, même s'ils ne manquent pas, dans une association assez monstrueuse, d'avoir les abdos d'un body-builder.
Et même du côté de nos idoles contemporaines les plus velues, les Jake Gyllenhaal et autres Jon Hamm, on réussit l'exploit d'aborder des dos et des épaules parfaitement lisses.
Tel est l'infâme complot ourdi par Hollywood et les magazines de mode pour nous faire insidieusement et instamment croire que le combo torse poilu/dos glabre est un phénomène des plus naturels.
Ne les croyez pas. Après un rapide sondage effectué auprès de mes proches et de mes collègues de Slate.com, la plupart des hommes bénis d'avoir un torse poilu sont aussi, à un degré ou à un autre, maudits par des poils poussant dans leur dos.
Et la tragédie, c'est que beaucoup partagent avec moi cette honte que j'ai préférée jusqu’à présent dissimuler. Un journaliste de Slate, hétéro, m'a expliqué qu'il était si complexé par son dos durant sa jeunesse qu'il ne se rendait quasiment jamais à la piscine sans t-shirt. Un autre a avoué être encore mal à l'aise à cause de la pilosité de ses épaules, et avoir récemment subi les moqueries d'un ami homo.
J'ai honte pour les miens de savoir qu'un gay a pu tourner en ridicule un collègue tout simplement parce qu'il a osé montrer son corps à la plage. Le mouvement pour les droits des homosexuels s'est construit autour d'une idéologie d'amour et d'acceptation de soi, autour de la nécessité de s'accepter soi-même et d'accepter les autres, qu'importe leur mode de vie, qu'importe leur apparence. Humilier quelqu'un à cause de son corps va clairement à l'encontre d'un tel credo. Quand vous avez des poils dans le dos, vous êtes pour ainsi dire nés ainsi: certes, nous ne sommes pas sortis hirsutes de l'utérus de notre mère, mais notre avenir pileux était clairement inscrit dans notre code génétique.
Et c'est pourquoi, à partir de maintenant, je refuse de m'enfermer dans ma salle de bains avec un tube de crème dépilatoire dès que l'été arrive –ou de cacher mon dos et mes épaules quand le mercure dépasse les 30°C en ville. La peur irrationnelle et destructrice des poils de dos que véhicule notre culture est une relique absurde, elle ne mérite pas une once de respect à notre époque éclairée.
Brisons nos chaînes, libérons-nous de la dorsopilophobie et entrons dans une nouvelle ère d'acceptation corporelle! Ce week-end, c'est décidé, je porterai un débardeur. Montrez-moi du doigt si ça vous chante –je le prendrai comme un compliment.